Avec Trouer la brume du paradis, Marina Skalova poursuit son vaste projet, initié en 2019 à la suite d’une résidence de trois mois à Moscou. Il s’agit pour la poétesse et traductrice d’origine russe « d’ouvrir un chantier littéraire autour de la place des femmes en Russie soviétique », ainsi qu’elle le décrit elle-même. Son texte est une introduction à la vie et à l’oeuvre de Yanka Diaghileva, comète qui brilla brièvement à la fin des années 80 sur la scène punk d’une Union soviétique à l’agonie. Elle a 25 ans lorsque son corps est repêché sans vie dans les eaux de la rivière Inia, en Sibérie. Les raisons de sa mort n’ont jamais été réellement élucidées.

Marina Skalova traduit et commente un ensemble de textes de Yanka. Des mots écrits dans une langue abrupte, qui charrie des images étranges, imprégnées d’éléments folkloriques et mythologiques. Qu’il s’agisse de paroles de chansons ou de poèmes, ils racontent une existence orientée par l’urgence et la précarité, mais aussi par la nécessité de ne pas plier aux exigences d’un État dictatorial moribond. Yanka est la figure de proue d’un punk sibérien sorti de rien, pour venir «trouer la brume du paradis» dans laquelle aime à se dissimuler l’enfer des régimes totalitaires. « Au bord des pôles, il y a des milliers de kilomètres de rien, ou de presque rien. Dans ce presque réside la différence. Le presque est la brèche d’où le punk peut surgir. » En interrogeant la figure de femmes écrivaines, poètes, et, avec ce texte, de la chanteuse-compositrice exceptionnelle que fut Yanka Diaghileva, Marina Skalova construit une généalogie de son écriture de femme occidentale qui ne veut pas oublier son enracinement dans une tradition littéraire russe, anarchiste et radicale, qui a toujours refusé de céder à toute forme d’oppression – quel que soit le prix à payer.

(Présentation par Hervé Laurent, directeur de la revue l’Ours Blanc)

Trouer la brume du paradis a initialement été écrit à l’invitation de Les Parleuses.

Le texte est aussi un podcast consacré à Yanka Diaghileva.

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“Ce qui est passionnant, c’est la forme qu’adopte Marina Skalova : ce n’est pas une biographie mais elle donne de nombreux éléments de la vie de Yanka Diaghileva – ce n’est pas une autobiographie mais elle parle d’elle, de son travail – ce n’est pas un livre de traductions ou un essai sur le sujet, mais elle insère plusieurs poèmes de la poète punk traduits par elle – ce n’est pas un livre d’histoire ou de sociologie mais il en dit long sur la vie en Sibérie dans les années 70/90 – C’est un récit, en fait, qui fait feu de tout bois sur son sujet, la poésie dans des conditions particulières et plutôt extrêmes, même si Diaghileva n’a pas été dans des camps, déportée ni même censurée, ayant vécu entre les années 1966 et 1991. “

(Florence Trocmé, Poesibao)